Pourquoi

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Ce n’est pas de l’Art et pourtant, dans la rue, sous l’effet du temps qui passe, ça en prend l’allure. C’est la magie de la rue et des palimpsestes qu’elle abrite.

Ainsi, quand je marche dans Paris, New-York ou Lisbonne ce n’est pas un ensemble de gribouillis ou d’affiches abimées négligemment laissées là par les employés de la municipalité que je vois aux murs, mais des tableaux, êtres à part entière, qui attirent mon œil  et parlent à mon être.

Affiches, morceaux d’affiches, restes divers, sans parler des dessins, graphs, pochoirs et collages, eux, Art véritable, tous ces éléments apparemment figés se mêlent les uns aux autres pour prendre vie. Et ce sont les murs de mon existence qui s’animent, comme les marionnettes d’un théâtre qui ne fonctionnerait que pour moi seule. Quelques affiches arrachées et je vois dans les interstices de la vie.

Ces morceaux de papiers aux murs ont leur rythme propre et sont nos paysages urbains. Comme les blés sortent de terre, mûrissent, ploient puis sont coupés un jour, eux s’abiment, se déchirent, se décolorent puis disparaissent. Ils nous rappellent que la ville est en mouvement, que le temps passe. Leur existence éphémère nous révèle combien nous sommes vivants.

Lambeaux poétiques en post-it de l’âme. Rappels malgré-nous, qui nous font penser et réfléchir. Des pense-bêtes, pas bêtes du tout, car l’on y lit ce que l’on veut bien y voir. Tout ce que nous  portons en nous.

Parmi tous ces fragments dont parfois il ne reste pas grand-chose de l’affiche ou du dessin initial, je me suis particulièrement intéressée aux visages. Ils me font littéralement du gringue quand je passe devant eux dans la rue ou dans le métro.

Plus encore que les affiches lacérées que j’aime tant mais dont les compositions de hasard sont abstraites, les visages crient le temps qui passe. Lacérations et déchirures sont cruelles quand elles s’appliquent aux visages car l’on ressent, presque physiquement, cette violence qui peut tout emporter en un instant.

Chacun sait qu’il en va ainsi de la vie. En un battement de cil, tout peut basculer. Quand ce n’est pas le cas, pour les plus chanceux, le temps finit quand même par les  avoir à l’usure. C’est exactement la même chose pour ces tableaux de rues.

Certains des visages lacérés que j’ai photographiés me font l’effet de grands blessés. Fauchés en pleine gloire, au moment de leur perfection. C’est ce qui les rend si touchants. D’autres ont été épargnés et ce n’est que par petites touches qu’ils se sont abimés. Ils n’en sont que plus émouvants. Dans les deux cas, les uns et les autres continuent de parader fièrement à nos murs. Tout abimés qu’ils sont. Abimés mais résistants. Imparfaits mais vivants. S’accommodant de ce qui leur arrive, jusqu’au jour de leur disparition totale. Voilà ce qui me plait chez eux.

Saisir ces œuvres périssables au moment où elles sont les plus belles est une quête. Une fois captives, emprisonnées pour l’éternité dans une photo, elles vivent alors une deuxième vie.

Émilie Lançon

 

 

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